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Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé

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Monsieur Gallet, décédé
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16 октябрь 2019
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Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé

Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé краткое содержание

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La toute première prise de contact entre le commissaire Maigret et la mort, avec qui il allait vivre des semaines durant dans la plus déroutante des intimités, eut lieu le 27 juin 1930 en des circonstances à la fois banales, pénibles et inoubliables. Inoubliables surtout parce que, depuis une semaine, la Police Judiciaire recevait note sur note annonçant le passage à Paris du roi d'Espagne pour le 27 et rappelant les mesures à prendre en pareil cas. Or, le directeur de la PJ. était à Prague, où il assistait à un congrès de police scientifique. Le sous-directeur avait été appelé dans sa villa de la côte normande par la maladie d'un de ses gosses. Maigret était le plus ancien des commissaires et devait s'occuper de tout, par une chaleur suffocante, avec des effectifs que les vacances réduisaient au strict minimum. Ce fut encore le 27 juin au petit jour qu'on découvrit, rue Picpus, une mercière assassinée. Bref, à neuf heures du matin, tous les inspecteurs disponibles étaient partis pour la gare du Bois-de-Boulogne, où on attendait le souverain espagnol. Maigret avait fait ouvrir portes et fenêtres et, sous l'action des courants d'air, les portes claquaient, les papiers s'envolaient des tables. A neuf heures et quelques minutes arrivait un télégramme de Nevers : Emile Gallet, voyageur de commerce, domicilié à Saint-Fargeau, Seine-et-Marne, assassiné nuit du 25 au 26, Hôtel de la Loire à Sancerre. Nombreux détails étranges. Prière prévenir famille pour reconnaissance cadavre. Si possible envoyer inspecteur de Paris.

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Monsieur Gallet, décédé - читать книгу онлайн бесплатно, автор Simenon

— Parbleu ! ricana Maigret. Il n’avait pas un centime en poche ! Tout juste sa pension payée jusqu’à la fin de ses études…

— Mon idée, à ce moment, était de partager l’héritage, par un moyen quelconque, je ne savais pas encore lequel… Mais je me suis aperçu que c’était plus difficile de partager que de prendre tout… Il m’a fallu trois mois pour mettre la main sur lui, au Havre, où il essayait de se faire embaucher comme steward ou comme interprète à bord d’un paquebot…

» Il lui restait dix ou douze francs… Je lui ai offert à boire, puis j’ai dû lui tirer un à un les vers du nez… Encore répondait-il tout juste par monosyllabes !…

» Il avait été précepteur dans un château, correcteur d’imprimerie à Rouen, commis de librairie…

» Il portait déjà une jaquette ridicule et une drôle de barbiche trop peu fournie, d’un brun roux…

» J’ai joué le tout pour le tout. Je lui ai raconté que je voulais faire fortune en Amérique et que, là-bas, rien n’aide un homme, surtout auprès des femmes, comme un titre de noblesse…

» Je lui ai proposé de racheter son nom… J’avais un peu d’argent, car mon père, qui était marchand de chevaux à Nantes, m’avait laissé un petit héritage…

» J’ai payé trente mille francs le droit de m’appeler Tiburce de Saint-Hilaire…

Maigret eut un bref coup d’œil au portrait, regarda son interlocuteur des pieds à la tête, le fixa enfin dans les yeux de telle sorte que, de lui-même, il se remit à parler avec un empressement exagéré.

— N’est-ce pas ce qu’un financier fait en rachetant deux cents francs des titres qu’il sait pouvoir revendre cinq fois plus cher un mois après ?… L’héritage, je l’ai attendu quatre ans !… Le vieux fou, là-bas, dans sa jungle, ne se décidait pas à mourir… Et c’est moi qui, démuni de mon argent, ai crevé de faim…

» Nous étions à peu près du même âge… Il nous avait suffi d’échanger nos papiers… L’autre en était quitte pour ne jamais mettre les pieds à Nantes, où il eût pu rencontrer quelqu’un qui me connaissait.

» Quant à moi, c’est à peine si je devais prendre des précautions… Le vrai Tiburce n’avait jamais eu d’amis… Et le plus souvent, dans ses places, il ne donnait pas son vrai nom, qui lui faisait plutôt tort…

» Est-ce qu’un commis de librairie s’appelle Tiburce de Saint-Hilaire ?…

» Enfin, j’ai lu dans les journaux une petite note annonçant l’héritage et priant les ayants droit, s’il y en avait, de se faire connaître…

» Vous croyez que je n’avais pas gagné les douze cent mille francs que laissait le vieux broussard ?…

Il reprenait de l’aplomb, encouragé par le silence de Maigret, et pour un peu il lui eût adressé une œillade.

— Bien entendu, Gallet, qui sur ces entrefaites s’était marié et qui ne roulait pas sur l’or, est accouru, m’a fait des reproches, d’un air sombre, au point qu’un moment j’ai cru qu’il allait me tuer…

» Je lui ai donné dix mille francs et il a fini par les emporter…

» Mais il est revenu six mois plus tard… Puis encore… Il menaçait de dire la vérité. J’essayais de lui démontrer qu’il serait condamné au même titre que moi…

» Au surplus, il avait de la famille, lui ! Une famille dont il semblait avoir peur…

» Petit à petit, il a baissé le ton… Il vieillissait très vite… Avec sa jaquette, sa barbiche, sa peau jaune et ses yeux cernés, il me faisait pitié…

» Son attitude devenait celle d’un mendiant… Il commençait toujours par me réclamer cinquante mille francs - une fois pour toutes, jurait-il ! - puis il s’en allait avec un ou deux billets de mille…

» Mais faites le compte de ces sommes pendant dix-huit ans !… Je vous répète que, si je ne m’étais pas montré ferme, j’aurais fini par y perdre…

» Je travaillais, moi ! Je cherchais des placements ! J’ai mis en vignes toutes les terres que vous voyez en amont de la propriété…

» Et lui, pendant ce temps-là… Il prétendait qu’il voyageait pour une maison de commerce, mais, en réalité, il se bornait au métier de tapeur…

» Il y prenait goût… Sous le nom de M. Clément, comme vous le savez, il allait trouver les gens.

» Qu’est-ce que j’aurais dû faire, dites ?

La voix s’enflait. Machinalement, il se leva.

— Le samedi en question, il voulait vingt mille francs sur-le-champ… J’aurais été disposé à les lui donner que je n’aurais pas pu, car la banque était fermée… Et puis, encore une fois, j’avais assez payé, n’est-ce pas ?

» Je le lui ai dit ! Je l’ai traité de dégénéré !… Il est revenu à la charge l’après-midi, avec des airs tellement humbles que j’en étais écœuré…

» Car un homme n’a pas le droit de se laisser aller à ce point-là… On joue sa vie !… On gagne ou l’on perd !… Mais on garde quand même plus de fierté…

— Vous le lui avez dit aussi ? interrompit Maigret d’une voix étonnamment douce.

— Pourquoi pas ? J’espérais lui donner un peu de nerf… Je lui ai proposé cinq cents francs…

Accoudé à la cheminée, le commissaire avait attiré à lui le portrait du mort.

— Cinq cents francs… répéta-t-il.

— Je vous montrerai le carnet où je note toutes mes dépenses et qui vous prouvera qu’en fin de compte il m’a soutiré plus de deux cent mille francs… Le soir, j’étais dans le parc…

— Pas très à l’aise…

— J’étais nerveux, je ne sais pas pourquoi… J’ai entendu du bruit du côté du mur… Puis je l’ai vu qui arrangeait je ne sais quoi dans l’arbre… J’ai d’abord cru qu’il voulait me faire un mauvais parti…

» Mais il a disparu comme il était venu… J’ai grimpé sur une barrique… Il était rentré dans sa chambre, où il se tenait debout près de la table, tourné vers moi… Il ne pouvait pas me voir…

» Je ne comprenais pas… Je vous jure qu’à ce moment j’ai eu peur… Le coup de feu a éclaté à dix mètres de ma place et Gallet n’a pas bougé…

» Seulement, sa joue droite était devenue rouge… Du sang coulait… Il restait debout, à fixer toujours le même point, comme s’il attendait quelque chose…

Maigret prit le revolver, sur la cheminée. Une corde de guitare, en métal tressé, comme celles dont on se sert pour pêcher le brochet, y était encore attachée.

Sous le canon était fixée solidement une petite boîte en fer-blanc reliée à la gâchette par un fil rigide.

Maigret ouvrit la boîte d’un coup d’ongle, découvrit un mécanisme identique à celui qu’on trouve couramment dans le commerce et qui permet de se photographier soi-même.

Il suffit de remonter un ressort, qui se détend de lui-même après un certain nombre de secondes.

Mais, en l’occurrence, le mouvement était triple, devait provoquer par conséquent trois détonations.

— Le ressort a dû se caler après la première balle ! dit-il d’une voix lente, un peu assourdie.

Et les dernières paroles de son interlocuteur résonnaient à son oreille : Seulement sa joue droite était devenue rouge… Du sang coulait… Il était debout, à fixer toujours le même point, comme s’il attendait quelque chose…

Les deux autres balles, parbleu ! Il s’était méfié de la précision du tir. Avec trois balles, il avait la certitude d’en recevoir au moins une dans la tête !

Et les deux autres n’étaient pas parties ! Il avait sorti son couteau de sa poche…

— Il vacillait quand il a appuyé la lame sur sa poitrine… il est tombé tout raide… Il était mort, naturellement… Et ma première idée a été que c’était une vengeance, qu’il avait eu soin de laisser des papiers révélant la vérité, peut-être même m’accusant de l’avoir tué…

— Vous êtes un homme prudent ! Et de sang-froid ! Vous êtes allé chercher des gants de caoutchouc à la cuisine…

— Est-ce que j’aurais dû laisser mes empreintes digitales dans la chambre ?… Je suis passé par la grille… J’ai mis la clé en poche… Ma visite était inutile !… Il avait brûlé lui-même tous ses papiers… J’avais peur… Ses yeux ouverts m’impressionnaient… Je suis rentré si précipitamment que j’ai oublié de refermer la grille à clé… Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ?… Du moment qu’il était bien mort…

» J’ai eu plus peur encore le jour où je jouais aux cartes chez le notaire, quand j’ai appris que le revolver avait tiré à nouveau…

» Je suis allé l’examiner de près… Je n’osai pas y toucher car, si l’on venait à me soupçonner, il constituait la preuve de mon innocence…

» C’est un automatique à six balles… J’ai compris que le ressort, calé par la déflagration, s’était détendu par suite d’influences atmosphériques, huit jours plus tard…

» Mais il pouvait rester trois balles, n’est-ce pas ?… C’est depuis lors que je passe mon temps à rôder dans le parc, à écouter… Tout à l’heure encore, tandis que nous étions ici tous les deux, j’évitais de me placer près de la table…

— Mais vous m’y laissiez !… C’est vous qui avez jeté la clé dans le chemin quand je vous ai menacé d’une visite domiciliaire…

Des pensionnaires, leur dîner fini, faisaient les cent pas sur la route et l’on entendait leurs pas réguliers. De la cuisine arrivait un vacarme intermittent d’assiettes remuées.

— J’ai eu tort de vous offrir de l’argent…

Maigret faillit éclater de rire et sans doute, s’il ne se fût pas contenu, ce rire eût-il été effrayant.

Debout devant son interlocuteur qui avait la tête de moins que lui, les épaules deux fois plus étroites, il le regardait d’un air à la fois bienveillant et féroce, balançait la main comme pour le saisir soudain par le cou ou lui écrabouiller la tête contre le mur.

Et pourtant le faux Tiburce de Saint-Hilaire avait quelque chose de pitoyable dans sa volonté de se justifier, de reconquérir son assurance.

Une pauvre petite canaille, qui n’avait pas le courage de sa canaillerie, qui n’en avait peut-être même pas tout à fait conscience !

Et il essayait de crâner ! Il reculait vivement chaque fois que Maigret faisait mine de bouger. Si le commissaire eût levé la main, il se fût sans doute jeté par terre !

— Remarquez que si sa femme a besoin de quelque chose, je suis prêt, dans la mesure de mes moyens, discrètement, à lui venir en aide…

Il savait qu’il y avait prescription ! Mais quand même ! Il n’était pas tranquille ! Il eût donné gros pour une bonne parole du policier, qui avait l’air de jouer avec lui au chat et à la souris !

— Il y a pourvu lui-même…

— J’ai lu ça dans les journaux, oui !… Une assurance de trois cent mille francs !… C’est extraordinaire…

Maigret ne put se contenir.

— Extraordinaire, n’est-ce pas ?… Cet homme qui a passé son enfance sans disposer d’un centime pour ses menus plaisirs !… Vous connaissez les lycées… Celui de Bourges compte parmi ses élèves la plupart des grands seigneurs du Centre… Un beau nom !… Un nom aussi vieux et aussi reluisant que le leur, avec seulement, ce prénom ridicule de Tiburce…

» Lui, pourtant, s’il mange et s’il a droit aux leçons, ne peut pas acheter une barre de chocolat, ou un sifflet, ou des billes…

» A la récréation, il est seul dans un coin… Peut-être les pions, à peu près aussi miteux que lui, en ont-ils pitié…

» Il sort de là !… Il vend des bouquins dans une boutique. Il traîne sans espoir son nom interminable, sa jaquette, sa maladie de foie…

» Il n’a rien à mettre au mont-de-piété ! Mais il a ce nom que quelqu’un, un beau jour, offre de lui racheter…

» C’est toujours la misère, le nom en moins !… Avec celui de Gallet, il accède à un degré plus élevé : la médiocrité… Il mange et il boit à sa faim et à sa soif…

» Seulement sa nouvelle famille le traite comme un chien galeux…

» Il a une femme, un fils… Et sa femme et son fils lui reprochent son impuissance à s’élever, à gagner de l’argent, à devenir conseiller général, comme le beau-frère…

» Le nom qu’il a vendu pour trente mille francs, voilà qu’il vaut soudain plus d’un million !… La seule chose qu’il ait possédée !… Celle, justement, qui lui a valu le plus de misères et d’humiliations !… Celle dont il s’est débarrassé !…

» Et l’ancien Gallet, un joyeux drille, un luron, lui abandonne, de loin en loin, une aumône…

» Extraordinaire, vous l’avez dit !… Rien ne lui a réussi !… Il a passé sa vie à se ronger le sang !… Personne, à aucun moment, ne lui a tendu la main…

» Son fils s’est révolté, est parti, dès qu’il a pu, pour voler de ses propres ailes en laissant le vieux à sa médiocrité…

» Il n’y a que sa femme qui se soit résignée ! Je ne dis pas qu’elle l’ait aidé ! Je ne dis pas qu’elle l’ait consolé !

» Elle s’est résignée, parce qu’elle a senti qu’il n’y avait rien à en tirer ! Un pauvre homme au régime !

» Et il lui laisse trois cent mille francs ! Plus qu’elle en a jamais possédé avec lui ! Trois cent mille francs qui suffisent à faire accourir ses sœurs, à lui valoir les sourires du conseiller général…

» Depuis cinq ans, il se traîne ! Les crises hépatiques se succèdent ! Les légitimistes ne donnent pas beaucoup plus que donnerait la mendicité ! Ici, il décroche de temps en temps un billet de mille.

» Mais un M. Jacob lui prend le meilleur de ce qu’il grappille de la sorte…

» Extraordinaire, oui, Gallet-Saint-Hilaire ! Car, s’il doit rogner sur ses menues dépenses, il entretient son assurance vie, verse plus de vingt mille francs tous les ans…

» Il pressent qu’un moment viendra où le découragement le submergera à moins que son cœur ne consente à s’arrêter de lui-même…

» Un pauvre homme, tout seul, qui va et vient, qui n’est chez lui nulle part, sinon peut-être quand il pêche à la ligne et qu’il ne voit personne…

» Il est né mal à propos, d’une famille découragée qui a fait, par surcroît, la folie de consacrer les quelques milliers de francs péniblement conservés à payer ses études…

» Il a vendu son nom mal à propos…

» Et mal à propos il a travaillé dans le légitimisme au moment où le légitimisme battait de l’aile…

» Il s’est marié mal à propos… Son fils lui-même est de la race des belles-sœurs et beaux-frères !…

» Des gens meurent tous les jours, sans le vouloir, alors qu’ils sont heureux et bien portants…

» Et, mal à propos, lui, il ne meurt pas !… Et l’assurance ne paie pas s’il y a suicide !…

» Il tripote des montres, des ressorts… Il sait bien que le moment est proche où il ne pourra pas aller plus loin…

» Enfin M. Jacob exige vingt mille francs !

» Il ne les a pas ! Personne ne les lui donnera ! Il a son ressort dans sa poche ! Il frappe, par acquit de conscience, à la porte de celui qui a gagné un million à sa place…


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