je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre.
— Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fl eurs d’or et mes diamants.
On a envoyé chercher la bonne coiffeuse, et on a acheté des mouches de la bonne faiseuse. Elles ont appelé Cendrillon pour lui demander son avis, parce qu’elle avait le bon goût. Cendrillon les a conseillé le mieux du monde, et s’est offert [51] même à coiffer ses deux sœurs.
En les coiffant, elles lui disaient :
— Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au bal [52] ?
— Hélas, mesdemoiselles, vous vous moquez de moi : ce n’est pas là ce qu’il me faut.
— Tu as raison, on rira bien, quand on voit un Culcendron [53] aller au bal !
Cendrillon ne s’est pas offencée et les a coiffées parfaitement bien. Elles étaient près de deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie [54]. On a rompu plus de douze lacets, à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toujours devant le miroir.
Enfi n l’heureux jour est arrivé ; on est parti, et Cendrillon les suivait des yeux le plus longtemps qu’elle a pu. Quand elle ne les a plus vu, elle s’est mise à pleurer. Sa Marraine, qui l’a vu tout en pleurs, lui a demandé ce qu’elle avait.
— Je voudrais bien... [55] je voudrais bien...
Elle pleurait si fort qu’elle ne pouvait pas achever. Sa Marraine, qui était Fée, lui a dit :
— Tu voudrais bien aller au bal, n’est-ce pas ?
— Hélas ! oui, dit Cendrillon en soupirant.
— Eh bien ! seras-tu bonne fi lle ? dit sa Marraine, je t’y ferai aller [56].
Elle l’a mené dans sa chambre, et lui a dit :
— Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille.
Cendrillon est allée aussitôt cueillir la plus belle qu’elle a pu trouver, et l’a porté à sa Marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille l’aiderait à aller au bal. Sa Marraine l’a creusé et l’a frappé de sa baguette, et la citrouille était aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.
Ensuite elle est allée regarder dans la souricière, où elle a trouvé six souris toutes en vie. Elle a dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et, à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval : ce qui était un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé [57].
La Marraine était en peine de quoi elle ferait un cocher :
— Je vais voir, a dit Cendrillon, s’il n’y a pas quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher.
— Tu as raison, a dit sa Marraine, va voir. Cendrillon lui a apporté la ratière, où il y avait trois gros rats.
La Fée en a pris un d’entre les trois, à cause de sa barbe, et, l’ayant touché, l’a changé en un gros cocher, qui avait très belles moustaches.
Ensuite elle lui a dit :
— Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir, apporte-les moi.
Quand elle a apporté les lézards, sa Marraine les changea en six laquais, qui sont montés aussitôt derrière le carrosse, avec leurs habits chamarrés.
La Fée dit alors à Cendrillon :
— Eh bien ! voilà, de quoi aller au bal : n’est-tu pas bien aise ?
— Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ?
Sa Marraine a seulement touché Cendrillon avec sa baguette, et en même temps ses habits étaient changés en des habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ; elle lui a donné ensuite une pai re de pantoufl es de verre, les plus jolies du monde.
Quand elle était ainsi parée, elle est montée en carrosse ; mais sa Marraine lui a recommandé, sur toutes choses, de ne pas passer minuit, l’avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses beaux habits reprendraient leur première forme [58].
Elle a promis à sa Marraine de sortir du bal avant minuit. Elle est partie, ne se sentant pas de joie.
Le Fils du Roi, qu’on a averti qu’une grande Princesse qu’on ne connaissait pas venait d’arriver [59], a couru la recevoir. Il lui a donné la main à la descente du carrosse, et l’a mené dans la salle où était la compagnie. Il s’est fait alors un grand silence ; on a cessé de danser, et les violons n’ont plus joué, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n’entendait qu’un bruit confus [60]: « Ah! qu’elle est belle ! »
Le Roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à la Reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si belle et si aimable personne. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, de semblables.
Le Fils du Roi l’a mis à la place la plus honorable, et ensuite l’a pris pour la mener danser. Elle dansait avec tant de grâce qu’on l’admirait encore davantage. Le jeune Prince était tout occupé à la considérer. Elle est allée s’asseoir auprès de ses sœurs et leur a fait mille honnêtetés ; elle leur a fait part [61] des oranges et des citrons que le Prince lui avait donnés, ce qui les a étonné fort, car elles ne la connaissaient point.
Enfi n Cendrillon a entendu sonner onze heures trois quarts ; elle a fait aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s’en est allée très vite.
Quand elle est arrivée, elle a trouvé