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Федор Тютчев - Том 3. Публицистические произведения

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Название:
Том 3. Публицистические произведения
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-
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18 сентябрь 2019
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Федор Тютчев - Том 3. Публицистические произведения

Федор Тютчев - Том 3. Публицистические произведения краткое содержание

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В третий том Полного собрания сочинений Ф. И. Тютчева включены публицистические произведения, написанные на французском языке, и их переводы, а также комментарии к ним.http://rulitera.narod.ru

Том 3. Публицистические произведения читать онлайн бесплатно

Том 3. Публицистические произведения - читать книгу онлайн бесплатно, автор Федор Тютчев

Encore si dans tout ce débordement de déclamation haineuse contre la Russie on pouvait découvrir un motif sensé, un motif avouable pour justifier tant de haine! Je sais que je trouverai au besoin des fous qui viendront me dire le plus sérieusement possible: «Nous devons vous haïr; votre principe, le principe même de votre civilisation, nous est antipathique à nous autres Allemands, à nous autres Occidentaux; vous n’avez eu ni Féodalité, ni Hiérarchie Pontificale; vous n’avez passé ni par les guerres du Sacerdoce et de l’Empire, ni par les guerres de Religion, ni même par l’Inquisition; vous n’avez pas pris part aux Croisades, vous n’avez pas connu la Chevalerie, vous êtes arrivé il y a quatre siècles à l’unité que nous cherchons encore, votre principe ne fait pas une part assez large à la liberté de l’individu, il n’autorise pas assez la division, le morcellement». Tout cela est vrai; mais tout cela, soyez juste, nous a-t-il empêché de vous aider bravement et loyalement dans l’occasion, lorsqu’il s’est agi de revendiquer, de reconquérir votre indépendance politique, votre nationalité, et maintenant n’est-ce pas le moins que vous puissiez faire, que de nous pardonner la nôtre? Parlons sérieusement, car la chose en vaut la peine. La Russie ne demande pas mieux que de respecter votre légitimité historique, la légitimité historique des peuples de l’Occident; elle s’est dévouée avec vous, il y a trente ans à peine, à la relever de sa chute, à la replacer sur sa base; elle est donc très disposée à la respecter non seulement dans son principe, mais même dans ses conséquences les plus extrêmes, même dans ses écarts, même dans ses défaillances; mais vous aussi, apprenez à votre tour à nous respecter dans notre unité et dans notre force.

Viendrait-on me dire que ce sont les imperfections de notre régime social, les vices de notre administration, la condition de nos classes inférieures, etc., etc., que c’est tout cela qui irrite l’opinion contre la Russie. Eh quoi, serait-ce vrai? Et moi qui croyais tout à l’heure avoir à me plaindre d’un excès de malveillance, me verrai-je obligé maintenant de protester contre une exagération de sympathie? Car enfin, nous ne sommes pas seuls au monde, et si vous avez en effet un fond aussi surabondant de sympathie humaine, et que vous ne trouviez pas à le placer chez vous et au profit des vôtres, ne serait-il pas juste au moins que vous le répartissiez d’une manière plus équitable entre les différents peuples de la terre? Tous, hélas, ont besoin qu’on les plaigne; voyez l’Angleterre par exemple, qu’en dites-vous? Voyez sa population manufacturière; voyez l’Irlande, et si vous étiez à même d’établir en parfaite connaissance le bilan respectif des deux pays, si vous pouviez peser dans des balances équitables les misères qu’entraînent à leur suite la barbarie russe et la civilisation anglaise, peut-être trouveriez-vous plus de singularité que d’exagération dans l’assertion de cet homme qui, également étranger aux deux pays, mais les connaissant tous deux à fond, affirmait avec une conviction entière «qu’il y avait dans le Royaume-Uni un million d’hommes, au moins, qui gagneraient beaucoup à être envoyés en Sibérie»…

Ah, monsieur, pourquoi faut-il que vous autres Allemands, qui avez sur vos voisins d’outre-Rhin une supériorité morale incontestable à tant d’égards, pourquoi faut-il que vous ne puissiez pas leur emprunter un peu de ce bon sens pratique, de cette intelligence vive et sûre de leurs intérêts, qui les distinguent!.. Eux aussi ils ont une presse, des journaux, qui nous invectivent, qui nous déchirent à qui mieux mieux, sans relâche, sans mesure, sans pudeur… Voyez par exemple cette hydre aux cent têtes de la presse parisienne, toutes lançant feu et flamme contre nous.

Quelles fureurs! Quels éclats! Quel tapage!.. Eh bien, qu’on acquière aujourd’hui même la certitude, à Paris, que ce rapprochement si ardemment convoité est en train de se faire, que les avances si souvent reproduites ont enfin été accueillies, et dès demain vous verrez tout ce bruit de haine tomber, toute cette brillante pyrotechnie d’injures s’évanouir, et de ces cratères éteints, de ces bouches pacifiées vont sortir, avec le dernier flocon de fumée, des voix diversement modulées, mais toutes également mélodieuses, célébrant, à l’envie l’une de l’autre, notre heureuse réconciliation.

Mais cette lettre est trop longue, il est temps de finir. Permettez-moi, monsieur, en finissant de résumer en peu de mots ma pensée.

Je me suis adressé à vous, sans autre mission que celle que je tiens de ma conviction libre et personnelle. Je ne suis aux ordres de personne, je ne suis l’organe de personne; ma pensée ne relève que d’elle-même. Mais j’ai certainement tout lieu de croire que si le contenu de cette lettre était connu en Russie, l’opinion publique n’hésiterait pas à l’avouer. L’opinion russe jusqu’à présent ne s’est que médiocrement émue de toutes ces clameurs de la presse allemande, non pas que l’opinion, non pas que les sentiments de l’Allemagne lui parussent une chose indifférente, bien certainement non… mais toutes ces violences de la parole, tous ces coups de fusil tirés en l’air, à l’intention de la Russie, il lui répugnait de prendre tout ce bruit au sérieux; elle n’y a vu tout au plus qu’un divertissement de mauvais goût… L’opinion russe se refuse décidément à admettre qu’une nation grave, sérieuse, loyale, profondément équitable, telle enfin que le monde a connu l’Allemagne à toutes les époques de son histoire, que cette nation, dis-je, ira dépouiller sa nature pour en révéler une autre faite à l’image de quelques esprits fantasques ou brouillons, de quelques déclamateurs passionnés ou de mauvaise foi, que, reniant le passé, méconnaissant le présent et compromettant l’avenir, l’Allemagne consentira à accueillir, à nourrir un mauvais sentiment, un sentiment indigne d’elle, simplement pour avoir le plaisir de faire une grande bévue politique. Non, c’est impossible.

Je me suis adressé a vous, monsieur, parce que, ainsi que je l’ai reconnu, la «Gazette Universelle» est plus qu’un journal pour l’Allemagne; c’est un pouvoir, et un pouvoir qui, je le déclare bien volontiers, réunit à un haut degré le sentiment national et l’intelligence politique: c’est au nom de cette double autorité que j’ ai essayé de vous parler.

La disposition d’esprit que l’on a créée, que l’on cherche à propager en Allemagne à l’égard de la Russie, n’est pas encore un danger; mais elle est bien près de le devenir… Cette disposition d’esprit ne changera rien, j’en ai la conviction, aux rapports actuellement existants entre les gouvernements allemands et la Russie; mais elle tend à fausser de plus en plus la conscience publique sur une des questions les plus graves qu’il y ait pour une nation, sur la question de ses alliances… Elle tend en présentant sous les couleurs les plus mensongères la politique la plus nationale que l’Allemagne ait jamais suivie, à jeter la division dans les esprits, à pousser les plus ardents, les plus inconsidérés dans des voies pleines de péril, dans des voies où la fortune de l’Allemagne s’est déjà fourvoyée plus d’une fois… Qu’une crise éclate en Europe, que la querelle séculaire, décidée il y a trente ans en votre faveur, vienne à se rallumer, la Russie certainement ne manquera pas à vos souverains, pas plus que ceux-ci ne manqueront à la Russie; mais c’est alors aussi qu’on aura probablement à récolter ce que l’on sème aujourd’hui: la division des esprits aura porté ses fruits, et ces fruits pourraient être amers pour l’Allemagne; ce seraient, je le crains bien, de nouvelles défections et des déchirements nouveaux. Et alors, monsieur, vous auriez trop cruellement expié le tort d’avoir été un moment injustes envers nous.

Voilà, monsieur, ce que j’avais à vous dire. Vous ferez de ma parole l’usage qui vous paraîtra le plus convenable.

Agréez, etc.

1844

3аписка*

En allant au fond de cette malveillance qui se manifeste contre nous en Europe et si l’on met de côté les déclamations, les lieux communs de la polémique quotidienne, on y trouve cette idée:

«La Russie tient une place énorme dans le monde et cependant elle ne représente que la force matérielle, rien que cela».

Voilà le véritable grief, tous les autres sont accessoires ou imaginaires.

Comment est née cette idée et quelle en est la valeur?

Elle est le produit d’une double ignorance: de celle de l’Europe et de la notre propre. L’une est la conséquence de l’autre. Dans l’ordre moral, une société, une civilisation qui a son principe en elle-même, ne saurait être comprise des autres qu’autant qu’elle se comprend elle-même: la Russie est un monde qui commence à peine à avoir la conscience de son principe. Or, c’est la conscience de son principe qui constitue pour un pays sa légitimité historique. Le jour où la Russie aura pleinement reconnu le sien, elle l’aura de fait imposé au monde. En effet de quoi s’agit-il entre l’Occident et nous? Est-ce de bonne foi que l’Occident a l’air de se méprendre sur ce que nous sommes? Est-ce sérieusement qu’il prétend ignorer nos titres historiques? —

Avant que l’Europe occidentale ne se fût constituée, nous existions déjà et certes nous existions glorieusement. Toute la différence c’est qu’alors on nous appelait l’Empire d’Orient, l’Eglise d’Orient; ce que nous étions alors, nous le sommes encore.

Qu’est-ce que l’Empire d’Orient? C’est la transmission légitime et directe du pouvoir suprême du pouvoir des Césars. C’est la souveraineté pleine et entière, ne relevant pas, n’émanant pas, comme les pouvoirs de l’Occident, d’une autorité extérieure quelle qu’elle puisse être, portant son principe d’autorité en elle-même, mais réglée, contenue et sanctifiée par le Christianisme.

Qu’est-ce que l’Eglise d’Orient? C’est l’Eglise universelle.

Voilà les deux seules questions sur lesquelles doit rouler toute polémique sérieuse entre l’Occident et nous. Tout le reste n’est que du verbiage. Plus nous nous serons pénétrés de ces deux questions et plus nous serons forts vis-à-vis de notre adversaire. Plus nous serons nous-mêmes. A bien considérer les choses, la lutte entre l’Occident et nous n’a jamais cessé. Il n’y a pas même eu de trêve, il n’y a eu que des intermittences de combat. Maintenant, à quoi bon se le dissimuler? Cette lutte est sur le point de se rallumer plus ardente que jamais et cette fois encore comme autrefois, comme toujours, c’est l’Eglise de Rome, l’Eglise latine qui est à l’avant-garde de l’ennemi.

Eh bien, acceptons le combat, franchement, résolument. Qu’en face de Rome l’Eglise d’Orient n’oublie pas un seul instant qu’elle est l’héritière légitime de l’Eglise universelle.

A toutes les attaques de Rome, à toutes ses hostilités, nous n’avons qu’une arme à opposer, mais elle est terrible: c’est son histoire, c’est l’histoire de son passé. Qu’a fait Rome? Comment a-t-elle acquis le pouvoir qu’elle s’est arrogé? Par une usurpation flagrante des droits, des attributions de l’Eglise universelle.

Comment a-t-elle cherché à justifier cette usurpation? Par la nécessité de maintenir l’unité de la foi. Et pour arriver à ce résultat, elle ne s’est refusé aucun moyen, ni la violence, ni la ruse, ni les bûchers, ni les Jésuites. Pour maintenir l’unité de la foi elle n’a pas craint de dénaturer le Christianisme. Eh bien, où en est depuis trois siècles l’unité de la foi dans l’Eglise occidentale? Rome il y a trois siècles a livré la moitié de l’Europe à l’hérésie et l’hérésie l’a livrée à l’incrédulité. Tel est le fruit que le monde chrétien a recueilli de cette dictature de plusieurs siècles que le siège de Rome s’est arrogée sur l’Eglise au mépris des conciles. Il n’a pas craint de se mettre en rébellion contre l’Eglise universelle; d’autres n’ont pas hésité à se révolter contre lui. Ceci n’est que de la justice Providentielle qui est au fond de toutes les choses du monde.

Voilà pour la question purement religieuse dans ces différends avec Rome. Maintenant si on en venait à apprécier l’action politique que Rome a exercée sur les différents états de l’Europe

Occidentale, bien qu’elle nous touchât de moins près, quelle terrible accusation n’aurait-on pas à faire peser sur elle! —

N’est-ce pas Rome, n’est-ce pas la politique ultramontaine qui a désorganisé, déchiré l’Allemagne, qui a tué l’Italie? L’Allemagne, elle l’a désorganisée en y minant le pouvoir impérial; elle l’a déchirée en y provoquant la réformation. Quant à l’Italie, la politique de Rome l’a tuée en empêchant par tous les moyens et à toutes les époques l’établissement dans ce pays d’une autorité souveraine, légitime et nationale. Ce fait a déjà été signalé il y a plus de trois siècles par le plus grand des historiens de l’Italie moderne.

Et en France, pour ne parler que des temps les plus rapprochés de nous, n’est-ce pas l’influence ultramontaine qui a écrasé, qui a éteint ce qu’il y avait de plus pur, de plus vraiment chrétien dans l’Eglise gallicane? N’est-ce pas Rome qui a détruit le Port-Royal et qui après avoir désarmé le Christianisme de ses plus nobles défenseurs, l’a pour ainsi dire livré par les mains des Jésuites aux attaques de la Philosophie du dix-huitième siècle? Tout ceci, hélas, c’est de l’Histoire, et de l’Histoire contemporaine.

Maintenant pour ce qui nous concerne personnellement, lors même que nous passerions sous silence nos propres injures, l’histoire de nos malheurs au dix-septième siècle, comment pouvons-nous taire ce que la politique de cette cour a été, pour ces peuples qu’une fraternité de race et de langue rattache à la Russie et que la fatalité en a séparés. On peut dire avec toute justice que si l’Eglise latine par ses abus et ses excès a été funeste à d’autres pays, elle a été par principe l’ennemie personnelle de la race Slave. La conquête allemande elle-même n’a été qu’une arme, qu’un glaive docile entre ses mains. C’est Rome qui en a dirigé et assuré les coups. Partout où Rome a mis le pied parmi les peuples slaves, elle a engagé une guerre à mort contre leur nationalité. Elle l’a anéantie ou elle l’a dénaturée. Elle a dénationalisé la Bohême et démoralisé la Pologne; elle en aurait fait autant de toute la race si elle n’avait pas rencontré la Russie sur son chemin. De là la haine implacable qu’elle nous a vouée. Rome comprend que dans tout pays slave où la nationalité de la race n’est pas encore tout à fait morte, la Russie par sa seule présence, par le seul fait de son existence politique l’empêchera de mourir et que partout où cette nationalité tendrait à renaître, elle ferait courir de terribles chances à l’établissement Romain. Voilà où nous en sommes vis-à-vis de la cour de Rome. Voilà le bilan exact de notre situation respective. Eh bien, est-ce avec de pareils antécédents historiques que nous craindrions d’accepter le défi qu’elle pourrait nous jeter? Comme Eglise nous avons à lui demander compte au nom de l’Eglise universelle de ce dépôt de la foi, dont elle a cherché à s’attribuer la possession exclusive même au prix d’un schisme. Comme puissance politique, nous avons pour alliée contre elle l’histoire de son passé, les rancunes de la moitié de l’Europe et les trop justes griefs de notre propre race.


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